La noirceur de l’héritage

L’héritage sans nom, Ellen Gustavsen, éditions Gallmeister, 24.90 euros

Un soir d’été, dans la forêt norvégienne, une bande de jeunes qui se connaissent depuis l’enfance fêtent leur entrée au lycée dans une folle soirée d’excès. Mais aux premières lueurs de l’aube, c’est un drame qui se dessine : Elisabeth, 16 ans, a été violée. Dans un accès de colère, elle va commettre un acte irréparable qui marquera l’avenir du groupe.

Quinze ans plus tard, le docteur Haraldsen, gynécologue réputé, est retrouvé assassiné sur son divan d’examen gynécologique dans une sinistre mise en scène. Qui pouvait bien en vouloir au docteur? Le policier Lars Lukassen, chargé de l’enquête, découvre une troublante correspondance entre les deux affaires.

Les chapitres se succèdent en alternant les voix d’Elisabeth et de Lars sur un rythme soutenu. Un polar captivant et surprenant qui va au-delà du genre policier et qui nous interroge sur les questions de l’héritage familial et de la filiation. Un roman intense et addictif.

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La complainte d’une lignée amérindienne

Les filles de la famille Stranger, éditions Albin Michel, 23,90 euros

Voici l’histoire des filles de la famille Stranger : Elsie, la mère, post-hippie un peu paumée, et ses deux filles, Phoenix, enceinte de son premier enfant et incarcérée dans un centre pour jeunes délinquants, et Cedar, élevée en famille d’accueil et qui va réintégrer le foyer paternel.

Toutes issues de la communauté amérindienne du North End, un quartier défavorisé de Winnipeg, elles grandissent dans le chaos, la pauvreté et les difficultés familiales. Dans ce roman choral, chaque personnage s’exprime tour à tour et raconte sa vérité personnelle. Une fresque intergénérationnelle foisonnante, peuplée de personnages attachants en prise avec leurs démons intérieurs et qui tentent de s’acheminer vers la résilience.

Katherena Vermette nous offre une description très juste des rapports entre soeurs ainsi que des liens mères-filles, mêmes abîmés. Un formidable roman, à la fois social et intime, sur une famille pas comme les autres.

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Des pépites en format poche

L'Inconnue du portraitL’inconnue du portrait, Camille de Peretti, Le Livre de Poche, 9,20 euros

Il y a d’abord Isidore, jeune cireur de chaussure à Wall Street avant le crash de 1929, puis Martha, fille-mère de 16 ans, ouvrière dans une usine en Autriche au début du siècle, et enfin dans les années 90, Michelle, une prostituée américaine bien décidée à faire reconnaître sa fille par son géniteur, qu’elle croit millionnaire.

De prime abord, rien ne semble lier ces personnages si disparates. Au coeur de cette fresque tumultueuse, un portrait : celui d’une jeune fille peinte par Klimt à Vienne en 1910, intitulé “Portrait d’une dame”. Une oeuvre qui connaîtra bien des péripéties puisqu’après avoir été remaniée par l’artiste en 1917 et achetée par un musée italien en 1925, elle y sera dérobée en 1997 et retrouvée dans le jardin du musée en 2019, probablement restituée par le cambrioleur lui-même…

Qui était donc cette inconnue dont le portrait est entouré de tant de mystères? C’est la question à laquelle Camille de Peretti répond brillamment à travers ce roman flamboyant et vif qui nous entraîne de Vienne à New York à différentes époques, dans un ballet au rythme effréné mêlant secrets de familles, ascensions fulgurantes et Histoire de l’Art.

Un roman aux multiples facettes parfaitement maîtrisé, un plaisir de lecture.

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Vous ne connaissez rien de moiVous ne connaissez rien de moi, Julie Héraclès, Le Livre de Poche, 9,70 euros

Tout le monde connaît ce cliché de Robert Capa, devenu l’emblème de la libération par l’épuration : une jeune femme, le crâne rasé, le front marqué au fer rouge, le visage tourné vers son bébé, qui marche dans les rues de Chartres, entourée d’une foule hostile. Julie Héraclès, chartraine elle-même, s’est penchée sur l’histoire de la fameuse “tondue de Chartres” pour publier son premier roman. Elle y décrit la vie de Simone, jeune femme d’un milieu modeste mais brillante élève (elle aura le bac, ce qui est remarquable à l’époque) qui souhaite sortir de sa condition.

Douée en langue allemande, admiratrice du régime politique nazi et de son führer Hitler, elle se propose en tant qu’interprète dans une administration tenue par l’occupant, puis à la Feldkommandantur. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Otto Weiss, jeune lieutenant responsable de la propagande, qui en civil était bibliothécaire.

Un premier roman prometteur qui impose un ton, celui, gouailleur et effronté, de sa jeune héroïne qui n’a pas la langue dans sa poche. C’est un livre qui suscite la réflexion et donne un nouvel éclairage à cet épisode historique, évitant l’écueil du manichéisme et nous révélant une période trouble, toute en nuances de gris.

 

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Une bulle de nostalgie

Un été à soi, Ann Patchett, éditions Actes Sud, 22,80 euros

Avril 2020. Les trois filles de Lara, Emily, Nell et Maisie, la vingtaine, décident de passer le confinement dans la ferme familiale, participant à la cueillette des cerises. Intriguées par le passé de leur mère, elles la supplient de leur raconter son histoire d’amour avec Peter Duke, jeune comédien devenu un célèbre acteur depuis, l’été de ses 24 ans.

Lara se prend au jeu et replonge dans cet été pas comme les autres où elle a vécu sa première histoire d’amour. Le roman alterne entre le passé de Lara en 1988 et le confinement en 2020. Les filles de Lara se plaisent à imaginer la vie de leur mère quand elle avait leur âge, tout en s’interrogeant sur leur propre trajectoire.

“Un été à soi” est une bulle de douceur et de nostalgie où on se love avec plaisir, une ode à la vie de famille et aux bonheurs simples. Ce n’est pas si facile de décrire la lumière des jours quotidiens, et Ann Patchett y parvient à la perfection.

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Le ressac des souvenirs

Au CrépusculeAu crépuscule, Jaap Robben, éditions Gallmeister, 24,90 euros

Louis vient de mourir, surprenant son épouse, Ida, en mauvaise santé et qui pensait partir avant lui. Leur fils Tobias, la cinquantaine, dont la femme est enceinte, s’occupe de vider la maison tandis qu’Ida séjourne en maison de retraite. Mais les souvenirs l’assaillent, notamment ceux de sa rencontre, à 18 ans, avec un jeune homme sur un lac gelé.

Otto est déjà marié et ils entament alors une liaison passionnée ; il passe la chercher à son travail à la boutique de fleuriste et ils passent tout leur temps libre ensemble. Mais Ida tombe enceinte, Otto ne veut pas quitter sa femme, les parents d’Ida ont peur du scandale et rien ne va se passer comme prévu.

Jaap Robben nous offre un roman sensible et délicat, de facture classique et à la maîtrise parfaite. On s’attache au personnage d’Ida à mesure qu’on la comprend mieux, connaissant son passé qui explique ses sautes d’humeur. Une histoire émouvante, une fin magnifique qui nous bouleverse.

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Mauvais oeil, Etaf Rum, éditions de l’Observatoire, 23 euros

Lorsque Yara, professeur d’Art à la Fac, se brouille avec une de ses collègues et est convoquée pour faute disciplinaire, le monde de la jeune femme se fissure. Non seulement on lui retire ses heures de cours, mais pour les récupérer et accéder à un temps plein, elle doit assister à des séances de psy, elle qui a tellement de mal à se confier et dont la culture palestinienne valorise le secret et la réserve.

Le psychologue lui conseille d’écrire un journal, à qui elle se confie de plus en plus, révélant peu à peu les écueils de son existence : la recherche de la perfection notamment dans son rôle de mère et le sentiment de ne pas être à la hauteur, sa volonté d’être une femme indépendante, contrairement à sa propre mère, et le lent délitement de son couple avec Fadi, accaparé par son travail. Peu à peu ses souvenirs ressurgissent, envahissant et perturbant son quotidien.

Etaf Rum nous fait pénétrer dans la psyché de Yara, écartelée entre le rôle traditionnel de la femme palestinienne et ses aspirations personnelles. Dans une langue riche et imagée, “Mauvais oeil” est un roman à la fois social et intimiste qui exprime le dilemme de son personnage entre héritage familial et velléités d’indépendance.

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Un drame adolescent

Ocean State - 1Ocean State, Stewart O’Nan, éditions de l’Olivier, 23,50 euros

Rhode Island, de nos jours. Marie, 13 ans, vit avec sa soeur Angel et sa mère Carol depuis le divorce de ses parents. Entre les sorties de sa mère avec son nouveau petit ami, Russ, et celles de sa soeur avec son petit ami depuis trois ans, Myles, Marie est souvent laissée à elle-même. Elle s’occupe régulièrement de sa petite voisine trisomique, Brookie. Mais un événement va faire voler en éclat ce fragile équilibre ainsi que celui de la petite communauté de Rhode Island.

Sa soeur, Angel, se retrouve impliquée dans le meurtre de Birdy, une camarade de lycée qui aurait eu une relation secrète avec son petit ami. C’est l’histoire de Birdy, autant que celle d’Angel, qui nous est racontée ici par la bouche de Marie, petite soeur fouineuse et admirative. Adolescence, premier amour, trahison, meurtre : tous les éléments sont réunis pour un drame à la fois local mais touchant à l’universalité.

Stewart O’Nan nous offre un roman empreint d’une certaine nostalgie adolescente, plein d’un charme insaisissable, porté par la voix candide de Marie. Passionnant.

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Un coup de coeur en format poche!

La petite-filleLa petite-fille, Bernhard Schlink, éditions Folio, 9,90 euros

Un soir, Kaspar rentre de sa librairie berlinoise et trouve son appartement en grand désordre, sacs de courses à terre, verre renversé, vase en miettes ; il est habitué à ce genre de spectacle car sa femme, Birgit, boit parfois plus que de raison et laisse le foyer partir à la dérive. Mais ce soir-là, il ne la trouve pas, ni dans la chambre, ni dans la petite pièce où elle aimait écrire, et finit par la trouver inanimée dans leur profonde baignoire Art nouveau.

Démuni après ce décès brutal, Kaspar découvre différents textes dans les papiers de sa femme et apprend qu’elle a eu un enfant et l’a abandonné en RDA, avant de s’enfuir à l’Ouest avec lui au début de leur idylle. Dès lors, il n’a de cesse de retrouver la fille de Birgit, comme elle aurait souhaité le faire elle-même.  A la suite d’une petite enquête, il rencontre enfin Svenja, dont la vie est radicalement différente de la sienne : mariée à un militant néo-nazi, elle a eu une fille prénommée Sigrun, élevée dans la doctrine “Volkisch”.

Kaspar va alors essayer de nouer un lien avec Sigrun, qu’il considère comme sa petite-fille par alliance, l’invitant chez lui pour de courts séjours où il lui fait découvrir la musique, la littérature et la personnalité de sa grand-mère. Mais peut-il vraiment ouvrir l’esprit de Sigrun et l’éloigner des idées bien arrêtées de ses parents?

Bernard Schlink évoque très justement le couple et la part d’ombre qui subsiste en chacun de nous. Son roman, tout en nuances et subtilité, interroge les liens d’attachement, familiaux ou choisis, ainsi que la question de la transmission.

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Ceux qui restent

La vie qui reste - 1La vie qui reste, Roberta Recchia, éditions Istya & Cie, 22 euros

Années 50. Marisa, 18 ans, est folle amoureuse de Fransesco, le bourreau des coeurs. Mais lorsqu’elle tombe enceinte, tout change : il lui avoue avoir une autre amoureuse en Suisse et ne pas souhaiter d’enfant. Marisa veut garder son bébé, ses parents, commerçants, préserver leur honneur. Un compromis est trouvé en la personne de Stelvio Ansaldo, qui finit par épouser Marisa et lui donner deux enfants, Ettore et Elisabetta.

Ainsi commence la vie d’avant, avant Août 1980 et le viol et le meurtre d’Elisabetta, leur fille de 16 ans. L’objet du livre de Roberta Recchia, c’est bien la vie qui reste pour l’entourage de Betta après ce drame, et comment ceux qui restent vont vivre cette épreuve, à commencer par ses parents, Marisa et Stelvio, son frère Ettore, sa cousine Miriam, qui était avec elle au moment de l’agression, sa grand-mère Letizia, son oncle Emanuele et sa tante Emma, les parents de Miriam. A force de silence, Miriam s’enfonce peu à peu dans un profond mal-être, jusqu’à sa rencontre avec Léo qui va tenter de la sauver.

Ce roman magistral, peuplé de personnage attachants, nous raconte l’histoire d’une famille face à l’horreur et célèbre la force de l’amour dans l’adversité. Passionnant.

 

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