Une bulle de nostalgie

Un été à soi, Ann Patchett, éditions Actes Sud, 22,80 euros

Avril 2020. Les trois filles de Lara, Emily, Nell et Maisie, la vingtaine, décident de passer le confinement dans la ferme familiale, participant à la cueillette des cerises. Intriguées par le passé de leur mère, elles la supplient de leur raconter son histoire d’amour avec Peter Duke, jeune comédien devenu un célèbre acteur depuis, l’été de ses 24 ans.

Lara se prend au jeu et replonge dans cet été pas comme les autres où elle a vécu sa première histoire d’amour. Le roman alterne entre le passé de Lara en 1988 et le confinement en 2020. Les filles de Lara se plaisent à imaginer la vie de leur mère quand elle avait leur âge, tout en s’interrogeant sur leur propre trajectoire.

“Un été à soi” est une bulle de douceur et de nostalgie où on se love avec plaisir, une ode à la vie de famille et aux bonheurs simples. Ce n’est pas si facile de décrire la lumière des jours quotidiens, et Ann Patchett y parvient à la perfection.

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Le ressac des souvenirs

Au CrépusculeAu crépuscule, Jaap Robben, éditions Gallmeister, 24,90 euros

Louis vient de mourir, surprenant son épouse, Ida, en mauvaise santé et qui pensait partir avant lui. Leur fils Tobias, la cinquantaine, dont la femme est enceinte, s’occupe de vider la maison tandis qu’Ida séjourne en maison de retraite. Mais les souvenirs l’assaillent, notamment ceux de sa rencontre, à 18 ans, avec un jeune homme sur un lac gelé.

Otto est déjà marié et ils entament alors une liaison passionnée ; il passe la chercher à son travail à la boutique de fleuriste et ils passent tout leur temps libre ensemble. Mais Ida tombe enceinte, Otto ne veut pas quitter sa femme, les parents d’Ida ont peur du scandale et rien ne va se passer comme prévu.

Jaap Robben nous offre un roman sensible et délicat, de facture classique et à la maîtrise parfaite. On s’attache au personnage d’Ida à mesure qu’on la comprend mieux, connaissant son passé qui explique ses sautes d’humeur. Une histoire émouvante, une fin magnifique qui nous bouleverse.

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Mauvais oeil, Etaf Rum, éditions de l’Observatoire, 23 euros

Lorsque Yara, professeur d’Art à la Fac, se brouille avec une de ses collègues et est convoquée pour faute disciplinaire, le monde de la jeune femme se fissure. Non seulement on lui retire ses heures de cours, mais pour les récupérer et accéder à un temps plein, elle doit assister à des séances de psy, elle qui a tellement de mal à se confier et dont la culture palestinienne valorise le secret et la réserve.

Le psychologue lui conseille d’écrire un journal, à qui elle se confie de plus en plus, révélant peu à peu les écueils de son existence : la recherche de la perfection notamment dans son rôle de mère et le sentiment de ne pas être à la hauteur, sa volonté d’être une femme indépendante, contrairement à sa propre mère, et le lent délitement de son couple avec Fadi, accaparé par son travail. Peu à peu ses souvenirs ressurgissent, envahissant et perturbant son quotidien.

Etaf Rum nous fait pénétrer dans la psyché de Yara, écartelée entre le rôle traditionnel de la femme palestinienne et ses aspirations personnelles. Dans une langue riche et imagée, “Mauvais oeil” est un roman à la fois social et intimiste qui exprime le dilemme de son personnage entre héritage familial et velléités d’indépendance.

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Un drame adolescent

Ocean State - 1Ocean State, Stewart O’Nan, éditions de l’Olivier, 23,50 euros

Rhode Island, de nos jours. Marie, 13 ans, vit avec sa soeur Angel et sa mère Carol depuis le divorce de ses parents. Entre les sorties de sa mère avec son nouveau petit ami, Russ, et celles de sa soeur avec son petit ami depuis trois ans, Myles, Marie est souvent laissée à elle-même. Elle s’occupe régulièrement de sa petite voisine trisomique, Brookie. Mais un événement va faire voler en éclat ce fragile équilibre ainsi que celui de la petite communauté de Rhode Island.

Sa soeur, Angel, se retrouve impliquée dans le meurtre de Birdy, une camarade de lycée qui aurait eu une relation secrète avec son petit ami. C’est l’histoire de Birdy, autant que celle d’Angel, qui nous est racontée ici par la bouche de Marie, petite soeur fouineuse et admirative. Adolescence, premier amour, trahison, meurtre : tous les éléments sont réunis pour un drame à la fois local mais touchant à l’universalité.

Stewart O’Nan nous offre un roman empreint d’une certaine nostalgie adolescente, plein d’un charme insaisissable, porté par la voix candide de Marie. Passionnant.

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Un coup de coeur en format poche!

La petite-filleLa petite-fille, Bernhard Schlink, éditions Folio, 9,90 euros

Un soir, Kaspar rentre de sa librairie berlinoise et trouve son appartement en grand désordre, sacs de courses à terre, verre renversé, vase en miettes ; il est habitué à ce genre de spectacle car sa femme, Birgit, boit parfois plus que de raison et laisse le foyer partir à la dérive. Mais ce soir-là, il ne la trouve pas, ni dans la chambre, ni dans la petite pièce où elle aimait écrire, et finit par la trouver inanimée dans leur profonde baignoire Art nouveau.

Démuni après ce décès brutal, Kaspar découvre différents textes dans les papiers de sa femme et apprend qu’elle a eu un enfant et l’a abandonné en RDA, avant de s’enfuir à l’Ouest avec lui au début de leur idylle. Dès lors, il n’a de cesse de retrouver la fille de Birgit, comme elle aurait souhaité le faire elle-même.  A la suite d’une petite enquête, il rencontre enfin Svenja, dont la vie est radicalement différente de la sienne : mariée à un militant néo-nazi, elle a eu une fille prénommée Sigrun, élevée dans la doctrine “Volkisch”.

Kaspar va alors essayer de nouer un lien avec Sigrun, qu’il considère comme sa petite-fille par alliance, l’invitant chez lui pour de courts séjours où il lui fait découvrir la musique, la littérature et la personnalité de sa grand-mère. Mais peut-il vraiment ouvrir l’esprit de Sigrun et l’éloigner des idées bien arrêtées de ses parents?

Bernard Schlink évoque très justement le couple et la part d’ombre qui subsiste en chacun de nous. Son roman, tout en nuances et subtilité, interroge les liens d’attachement, familiaux ou choisis, ainsi que la question de la transmission.

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Ceux qui restent

La vie qui reste - 1La vie qui reste, Roberta Recchia, éditions Istya & Cie, 22 euros

Années 50. Marisa, 18 ans, est folle amoureuse de Fransesco, le bourreau des coeurs. Mais lorsqu’elle tombe enceinte, tout change : il lui avoue avoir une autre amoureuse en Suisse et ne pas souhaiter d’enfant. Marisa veut garder son bébé, ses parents, commerçants, préserver leur honneur. Un compromis est trouvé en la personne de Stelvio Ansaldo, qui finit par épouser Marisa et lui donner deux enfants, Ettore et Elisabetta.

Ainsi commence la vie d’avant, avant Août 1980 et le viol et le meurtre d’Elisabetta, leur fille de 16 ans. L’objet du livre de Roberta Recchia, c’est bien la vie qui reste pour l’entourage de Betta après ce drame, et comment ceux qui restent vont vivre cette épreuve, à commencer par ses parents, Marisa et Stelvio, son frère Ettore, sa cousine Miriam, qui était avec elle au moment de l’agression, sa grand-mère Letizia, son oncle Emanuele et sa tante Emma, les parents de Miriam. A force de silence, Miriam s’enfonce peu à peu dans un profond mal-être, jusqu’à sa rencontre avec Léo qui va tenter de la sauver.

Ce roman magistral, peuplé de personnage attachants, nous raconte l’histoire d’une famille face à l’horreur et célèbre la force de l’amour dans l’adversité. Passionnant.

 

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Dans les noirceurs de l’âme

Les âmes féroces Marie... - librairieauxfeuillesvolantes | FacebookLes âmes féroces, Marie Vingtras, éditions de l’Olivier, 21.50 euros

Mercy, petite ville paumée des Etats-Unis. Dans la douceur du printemps, le corps d’une adolescente est retrouvé, à moitié immergé, au milieu des iris sauvages. C’est Léo, 17 ans, la fille de Seth, l’ancien garagiste de la commune, jeune fille sage, sans histoires, plutôt réservée. Dans cette petite ville où il ne se passe jamais rien, c’est la stupéfaction.

La nouvelle shérif, Lauren, n’est pas appréciée de tous dans la communauté, peut-être du fait de son orientation sexuelle ; c’est elle qui va prendre en main l’enquête, et c’est aussi la première voix qui nous raconte les faits. Car “les âmes féroces” est un roman choral où quatre personnages vont dérouler leur vérité, en suivant la ronde des saisons : Tout d’abord Lauren, ensuite M. Chapman, le professeur de français de Léo, puis Emmy, sa meilleure amie, et enfin son père, Seth.

A travers ces quatre regards sur l’événement, l’image de Léo se dessine sous plusieurs facettes, comme difractée par un kaléidoscope, et on découvre aussi les noirceurs cachées de l’âme de chacun des narrateurs. Voici un roman envoûtant, dont l’ambiance évoque certains films ou séries américains (on pense notamment à “Twin Peaks”) et qui se lit d’une traite.

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L’amour dans tous ses états

Bien-être - Nathan Hill - BabelioBien-être, Nathan Hill, Gallimard, 26 euros

Jack et Elizabeth se sont rencontrés dans les années 90 à Chicago. Vivant dans les immeubles voisins d’un quartier modeste et bohème, ils s’épiaient secrètement par leurs fenêtres. Ils viennent de milieux différents : Jack, artiste photographe, vient d’une famille de la classe moyenne du Kansas ; Elizabeth, étudiante en psychologie, est issue d’une famille riche ayant fait fortune dans les chemins de fer. Entre eux, c’est le coup de foudre.

Vingt ans après, que reste-t-il de cet amour romantique? Jack est devenu professeur et Elizabeth travaille à la clinique du Bien-être, qui étudie des traitements alternatifs à des maux chroniques et mesure l’effet de différents placebos. Ils ont eu un enfant, Toby, petit garçon spécial qui préfère ses jeux virtuels à ses semblables. Confrontés aux écueils de la parentalité bienveillante et à l’usure inévitable du couple, Jack et Elizabeth envisagent de quitter le centre-ville de Chicago pour s’établir en périphérie, dans un nouvel appartement  dont l’agencement cristallise tous leurs désaccords.

Nathan Hill prend un malin plaisir à disséquer l’histoire amoureuse de Jack et Elizabeth dans toutes ses phases, du coup de foudre des débuts aux affres du doute. L’ego, les projections, les mécanismes de la sensualité : l’amour dans tous ses états est passé au crible dans ce roman réjouissant et intelligent. Eblouissant.

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Aussi profond que l’amour

Long Island - 1Long Island, Colm Toibin, éditions Grasset, 24 euros

Eilis coule des jours paisibles à Long Island, où elle s’est installée 20 ans auparavant avec son mari, Tony, et où ils élèvent leurs deux enfants, Larry et Rosella. Mais quand un homme vient lui annoncer que son mari l’a trompée, que sa femme attend un enfant de lui et qu’il le laissera sur le pas de sa porte à sa naissance, ne voulant pas élever un enfant qui n’est pas de lui, le monde s’effondre pour Eilis. Comprenant qu’une partie de sa belle-famille était au courant et a déjà établi un plan d’action, elle décide de partir en Irlande, chez sa mère qui va bientôt fêter ses 80 ans, et d’y rester pour un temps indéterminé.

Dans sa ville natale, elle retrouve sa meilleur amie d’alors, Nancy, qui l’invite au mariage de sa fille, et revoit également Jim Farrell, patron du bar du même nom, qui fut son amour de jeunesse et qu’elle quitta pour épouser Tony. Les souvenirs d’alors refluent, au temps où Jim Farrell et elle pensaient être des âmes soeurs. Mais les années ont passé et tous deux ont pris des engagements parallèles.

Sur un canevas classique, Colm Toibin élabore un grand roman Irlandais qui nous parle d’amour, de souvenirs et de regrets. Un roman superbe et profond, à la narration fluide, d’une grande maîtrise, qui nous enchante. Définitivement un grand roman de cette rentrée littéraire étrangère.

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Le poison de l’immortalité

La vie infinieLa vie infinie, Jennifer Richard, éditions Philippe Rey, 19 euros

Céline et Adrien forment un couple de quadragénaires épanouis. Lui, créateur de startups numériques, travaille à un programme qui offrirait un avenir dématérialisé visant l’immortalité. Elle est réalisatrice de documentaires et a abandonné ses idéaux de jeunesse pour un mode de vie capitaliste. Ils sont riches, passionnés par leurs carrières et ultra-connectés. Leur fille de 10 ans, Zoé, ne supporte pas le contact physique et n’a que des amis virtuels.

Quand Pierre, un ami de lycée, resurgit dans la vie de Céline, il ébranle ses certitudes par son mode de vie authentique et ses idées humanistes. Entre la vie infinie et la vie réelle, entre le créateur d’éternité et le défenseur du monde libre, Céline devra faire un choix.

Jennifer Richard met ses personnages face au dilemme de vivre la vie réelle “en présentiel” ou de se projeter dans une vie augmentée qui n’aurait pas de fin. Elle nous livre une réflexion philosophique brillante dans un roman fin et sensible qui incarne les grandes questions contemporaines ( maintien du lien social, fin de vie) face aux avancées technologiques. Une fable moderne et mélancolique, au ton parfois ironique, sur nos vies de plus en plus dématérialisées, avec l’option d’une vie “infinie” à l’horizon.

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