Et nos yeux doivent accueillir l’aurore, Sigrid Nunez, Le Livre de Poche, 9,70 euros

Il y a quelque chose de magique dans cette chronique douce-amère de la vie de deux jeunes filles aussi différentes qu’on peut l’être, colocataires à l’université au début des années 70. Au-delà de ce titre énigmatique et poétique que l’on n’arrive pas à retenir (tiré d’une chanson de Bob Dylan), ce roman dense et nostalgique nous entraîne et nous subjugue rapidement, tout comme Ann Drayton subjugue Georgette George, sa camarade de chambre.

Personnalité complexe et fascinante, Ann est une fille de bonne famille en révolte contre son milieu, qui détonne autant qu’elle agace. Elle ne cache d’ailleurs pas à Georgette qu’elle a réclamé à l’université de partager la chambre d’une “jeune fille venant d’un monde aussi différent du sien que possible”, donc de condition beaucoup plus modeste. Contre toute attente, une curieuse amitié va naître entre elles qui les tient éveillées jusqu’à l’aube, en veine de confidences intimes. Tandis qu’Ann se radicalise en s’engageant politiquement contre la guerre du Vietnam et le racisme, Georgette, plus discrète, entame une vie professionnelle plus traditionnelle.

Des années plus tard, alors qu’elles se sont perdues de vue, Georgette reçoit de plein fouet la nouvelle de l’incarcération d’Ann pour meurtre. Bouleversée, elle réalise alors à quel point son amitié avec Ann a influencé et façonné sa propre existence…

Ce roman admirable fait partie de ceux qu’on dévore mais le plus doucement possible afin de ne pas le finir tout de suite! L’auteur nous offre une histoire d’amitié authentique et mélancolique autant qu’une peinture sociale des Etats-Unis des années 70 jusqu’à aujourd’hui, à travers un récit subtil et enlevé qui semble se jouer des différentes époques. Une totale réussite!

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Veiller sur elle, Jean-Baptiste Andrea, éditions l’Iconoclaste, 21,90 euros

Né en France en 1904 de parents italiens, Michelangelo Vitaliani, appelé communément “Mimo”, est ce qu’on appelle pudiquement un homme de petite taille. Après le décès de son père pendant la première guerre mondiale, sa mère le ramène en Italie et le laisse à Gênes, en apprentissage de sculpteur chez son oncle Zio Alberto. Bientôt l’élève se révèle plus doué que le maitre et va prendre son indépendance.

Lorsqu’il rencontre Viola, jeune héritière de la riche famille Orsini, Mimo est ébloui par son intelligence et sa forte personnalité. Elle l’ouvre au monde en lui faisant découvrir l’histoire de l’Art et l’aide à étendre ses connaissances. Ils partagent une relation privilégiée, faite de fascination et d’admiration mutuelle, et se disent “jumeaux cosmiques”. Mais bientôt le destin va les séparer…

Jean-Baptiste Andréa nous offre ici une fresque historique à l’ample souffle romanesque, à la fois roman d’apprentissage et roman d’aventures riche en rebondissements. Ses personnages hauts en couleur nous entraînent à travers les tourments de l’histoire, et on n’oubliera pas Mimo et Viola, dont la relation intense palpite et irradie tout le livre.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Les voleurs d’innocence, Sarai Walker, éditions Gallmeister, 26,40 euros

Sylvia Wren est une vieille dame, artiste peintre célèbre vivant au Nouveau-Mexique avec sa compagne, Lola, qui gère sa carrière. Mais pendant que celle-ci est en voyage, elle reçoit le courrier d’une journaliste qui souhaite l’interviewer et semble tout connaître de son passé, lorsqu’elle ne s’appelait pas encore Sylvia Wren mais Iris Chapel.

C’est alors qu’Iris prend la parole et nous raconte l’histoire des six soeurs Chapel qui, dans les années 50, habitent un manoir victorien du Connecticut, rebaptisé le “gâteau de mariage”. Leur mère, Belinda, leur a donné des prénoms de fleurs, Aster, Rosalind, Calla, Daphné, Iris et Hazel. Belinda est une mère singulière, une mère “hantée”, qui a des prémonitions, des visions, et qui la plupart du temps vit recluse dans sa chambre, alors que son mari absent s’occupe de son entreprise d’armes à feu. Quand Aster, la fille aînée, annonce qu’elle veut se marier, Belinda a un terrible pressentiment…

Comme dans un conte macabre, une malédiction pèse sur les jeunes filles qui, sitôt mariées, meurent mystérieusement. Comment échapper à cette destinée funeste? Voici un roman envoûtant qui nous plonge dans une ambiance gothique et éthérée, un roman féministe qui, l’air de rien, pose la question de l’épanouissement féminin dans le mariage, un livre fascinant qui nous jette un sort et qu’on ne peut plus lâcher. Addictif!

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Vous ne connaissez rien de moi, Julie Héraclès, éditions J-C Lattès, 20,90 euros

Tout le monde connaît ce cliché de Robert Capa, devenu l’emblème de la libération par l’épuration : une jeune femme, le crâne rasé, le front marqué au fer rouge, le visage tourné vers son bébé, qui marche dans les rues de Chartres, entourée d’une foule hostile. Julie Héraclès, chartraine elle-même, s’est penchée sur l’histoire de la fameuse “tondue de Chartres” pour publier son premier roman. Elle y décrit la vie de Simone, jeune femme d’un milieu modeste mais brillante élève (elle aura le bac, ce qui est remarquable à l’époque) qui souhaite sortir de sa condition.

Douée en langue allemande, admiratrice du régime politique nazi et de son führer Hitler, elle se propose en tant qu’interprète dans une administration tenue par l’occupant, puis à la Feldkommandantur. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Otto Weiss, jeune lieutenant responsable de la propagande, qui en civil était bibliothécaire.

Un premier roman prometteur qui impose un ton, celui, gouailleur et effronté, de sa jeune héroïne qui n’a pas la langue dans sa poche. C’est un livre qui suscite la réflexion et donne un nouvel éclairage à cet épisode historique, évitant l’écueil du manichéisme et nous révélant une période trouble, toute en nuances de gris.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Dans la tête du tueur

L’épaisseur d’un cheveu, Claire Berest, Albin Michel, 19,90 euros

Vive et Etienne, la quarantaine, forment un couple équilibré, elle un peu artiste, sensuelle, fantasque et lui plus sérieux, intellectuel, amateur de musique classique. Etienne est correcteur dans une maison d’édition, Vive est photographe et travaille dans une association artistique où elle organise les expositions et vernissages, épaississant ainsi son carnet d’adresses. C’est un couple en vue dans un certain microcosme culturel parisien.

Mais cette semaine-là, tout semble aller de travers pour Etienne : d’abord Vive annule le concert de Mahler auquel ils devaient se rendre le Mardi ; le lendemain, alors qu’elle doit l’accompagner à la soirée annuelle de sa maison d’édition, elle réclame d’aller boire un verre avant pour discuter, bref rien ne se passe comme prévu. Vive semble vouloir s’échapper et Etienne ne le supporte pas…

Si la quatrième de couverture ne fait pas mystère de l’issue fatale, Claire Berest réussit le tour de force de nous faire entrer dans l’esprit du tueur, là où le coupable se fait victime, et nous interroge sur la banalité du mal. Car l’enchainement des événements, de petites contrariétés en franches disputes, reflète le quotidien d’un couple ordinaire qui bascule dans le crime et la folie. C’est ce cheminement, à rebours du drame, que Claire Berest nous décrit dans ce roman qui suscite émotion et réflexion.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

La justice des hommes, Santiago H. Amigorena, éditions P.O.L, 21 euros

Alice et Aurélien se sont rencontrés jeunes et ont rapidement eu deux enfants, Elsa, 6 ans, et Loup, 3 ans. Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes mais lors d’une dispute, Aurélien va commettre l’irréparable. Dès lors, la communication se rompt entre les deux personnages, mais aussi au sein de la famille puisqu’Elsa, traumatisée, a cessé de parler.

Alice et Aurélien mettent leur destin entre les mains de la justice des hommes, mais celle-ci est implacable et ne s’embarrasse pas de nuances…

Santiago H. Amigorena décrit très justement une rupture, pas seulement amoureuse mais aussi familiale, qui emporte les individus telle une gigantesque vague et les laisse, chancelants et anéantis, sur le rivage. Une réflexion romanesque sur la rupture mais aussi la perte totale de repères et l’identité qui se dérobe suite à un choc traumatique. Un roman contemporain qui capte l’air du temps.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Gros coup de coeur… enfin en format poche!

Apaiser nos tempêtes, Jean Hegland, éditions Libretto, 12,20 euros

Anna est étudiante en photographie à l’université de Washington, Cerise lycéenne d’un milieu modeste en Californie. Quand l’une et l’autre sont confrontées au choix de faire un enfant, elles prennent des directions diamétralement opposées. Quand on les retrouve quelques années plus tard, il s’avère que ce choix a été décisif, voire crucial, dans leurs trajectoires de vie.

Jean Hegland évoque d’une écriture toute en nuances les vicissitudes de leurs existences  et, de peines en espoirs, décrit en détail les sentiments mêlés de ses personnages. Du hasard de leur rencontre naitra une relation singulière, faite de confiance, d’amitié, de sororité. L’auteur nous donne à lire ici une réflexion autour de la maternité sous toutes ses formes (“une thématique aussi traditionnellement genrée”, note-t-elle dans sa préface), évoquant autant la naissance que la perte possible de l’enfant et les aléas de l’éducation.

Un roman ample et superbe qui célèbre la puissance des femmes.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Prolongeons l’été en format poche

Free love, Tessa Hadley, éditions 10/18, 8,60 euros

Fin des années 60, en Angleterre. Phyllis et Roger sont mariés depuis une quinzaine d’années ; Roger est diplomate au Ministère des affaires étrangères tandis que Phyllis supervise l’éducation de leurs deux enfants, Hugh, 10 ans et Colette, 15 ans. Un soir, ils invitent à dîner un jeune homme, Nicky, fils d’une ancienne amie de Roger. La soirée tourne à la comédie de moeurs lorsque Phyllis se retrouve à embrasser le jeune homme. Commence alors une liaison qui ne dit pas son nom, et, au moment des fêtes de Noël, Phyllis plaque tout pour vivre son amour avec ce jeune étudiant sans le sou.

Elle rencontre toute sa bande d’amis, des artistes et des hippies qui changent sa vision du monde. Elle a conscience que sa relation avec Nicky est fragile, mais quand elle tombe enceinte, elle décide d’assumer et d’élever son enfant, seule s’il le faut.

C’est à l’éveil d’une femme que l’on assiste, à l’histoire de sa libération qui se fait doucement, pas à pas, dans une société encore corsetée et normative. Loin d’une banale liaison extra-conjugale au goût de vaudeville, Free Love évoque plutôt le cheminement intérieur d’un être humain qui se questionne et cherche son indépendance, à la manière des personnages d’Alison Lurie, au coeur des années 60.

Euphorie, Elin Cullhed, éditions 10/18, 8,90 euros

Avec ce livre, Elin Cullhed nous retrace la vie de la poétesse américaine Sylvia Plath, dans ce qui devait être sa dernière année de vie, au tout début des années 60. Après un séjour en hôpital psychiatrique dans sa jeunesse pour dépression, Sylvia a suivi des études à Smith College puis a obtenu une bourse pour étudier en Angleterre, où elle rencontre le poète Ted Hughes. Lorsque l’auteur commence son récit, en 1962, Sylvia, déjà mère de Frieda, 2 ans, et enceinte de son deuxième enfant, décide de s’installer dans la campagne anglaise avec son mari.

Le ciel s’assombrit pour Sylvia lorsqu’un couple d’amis, également poètes, leur rend visite dans le Devon et que Ted tombe sous le charme d’Assia Wevill, dont il fera rapidement sa maîtresse. Il part de plus en plus souvent à Londres pour son travail, délaissant femme et enfants.

Dans ses lettres à sa mère, Sylvia ne tarit pas déloges sur sa vie en campagne et paraît résolument optimiste, alors que dans les faits, elle passe de périodes d’euphorie à des moments d’abattement. Elin Cullhed s’empare de son sujet d’une manière presque viscérale et rentre dans la psyché de Sylvia Plath en s’appropriant son style littéraire, l’éblouissement de sa langue puissante et poétique. Elle nous restitue également ses sautes d’humeurs, ses fulgurances ainsi que ses moments de découragement, qui présagent de son funeste destin. Un roman ample et inspiré.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Un long, si long après-midi - 1Un long, si long après-midi, Inga Vesper, éditions Points, 8,90 euros

Dans la société corsetée des années 50, Joyce est une femme au foyer au quotidien monotone qui, faute d’amies sincères, entame une relation privilégiée avec sa femme de ménage, jeune fille noire prénommée Ruby. Celle-ci rêve d’un autre destin et travaille dans le quartier huppé de Sunnylakes, à Santa Monica, afin de suivre des études supérieures et devenir enseignante.

Mais un après-midi, Ruby trouve la maison vide et les enfants laissés à eux-mêmes. La cuisine est maculée de sang et Joyce s’est volatilisée… L’inspecteur Mickaël Blanke est chargé de l’affaire et commence une enquête de voisinage, en ne négligeant aucune piste : Joyce est-elle partie de son plein gré? A-t-elle subi un avortement qui aurait mal tourné dans la cuisine? Ruby est le premier témoin sur les lieux du crime et devient, de ce fait, une suspecte possible.

Tour à tour, Ruby, Joyce et Mick racontent leur histoire dans un roman choral au suspense constant. Un livre féministe et engagé sur la condition des femmes et des afro-américains à la fin des années 50.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire

Tout ce que dit Manon est vrai

Tout ce que dit Manon est vrai, Manon Fargetton, éditions Pocket, 9,50 euros

Manon Fargetton, auteur de livres jeunesse à succès, nous raconte ici un pan jusque là ignoré de son histoire. La jeune Manon, 16 ans, rêve d’être dessinatrice de B.D ; elle est talentueuse et lors d’un salon, Gérald, éditeur de 40 ans son aîné, la repère. Il propose de la publier, elle accepte. Commence alors une relation sentimentale qui a la saveur de l’interdit ; il est marié, qu’importe! sa femme aussi aime Manon et accepte sa présence dans leur couple. La mère de Manon, inquiète, tente de s’interposer entre la jeune fille et son mentor, ce qui déclenche une bataille rangée.

Manon Fargetton a choisi pour ce texte de faire parler tous les protagonistes sous un “je” pluriel, ce qui peut être déroutant : ses parents, ses frères, ses amis racontent à tour de rôle son histoire, dans un kaléidoscope aux multiples facettes. Elle nous offre un roman captivant sur l’adolescence et l’emprise, dont on ne sort pas indemne.

Catégories: Divers | Laisser un commentaire