Un roman noir envoûtant

Il ne se passe jamais rien ici - 1Il ne se passe jamais rien ici, Olivier Adam, éditions Flammarion, 22 euros

Antoine est un être cabossé par la vie. Après avoir cumulé les petits boulots, il bosse à ses heures perdues pour son pote Alex, brocanteur, et vit sous les combles de la maison familiale que ses parents lui louent pour un loyer symbolique. Séparé de Marlène, la mère de son fils, il ne voit Nino que de temps en temps, faute de logement adapté.

Au village où il vit, tout près du lac d’Annecy, il passe ses soirées au Café des Sports, où il retrouve Fanny, son amour de jeunesse avec qui le lien est toujours aussi fort. Fanny, dont la beauté fait tourner les têtes des garçons du village. Fanny, que l’on retrouve, un matin d’automne, morte sur les rives du lac, assassinée. La veille, elle a fait la fête au Café des Sports et Antoine l’a raccompagnée chez elle. Il est la dernière personne à avoir été vu avec elle…

A partir de ce canevas simple propre au roman policier, Olivier Adam nous offre un roman choral savamment orchestré dans lequel chaque personnage de cette petite communauté s’exprime tour à tour. Autour d’Antoine, figure du looser sympathique, gravitent les membres de sa famille proche (son frère, l’arrogant Benoît, sa soeur la discrète Claire), ses amis, les habitués du Café des Sports ainsi que les policiers chargés de l’enquête. A travers le prisme de l’enquête, Olivier Adam revisite des thèmes qui lui sont chers, notamment celui de la famille et de la place que chacun y occupe, mais aussi celui du lien social et de ses failles. Il peint le portrait d’un village qui est comme le miroir d’une certaine France dans un roman sensible et plein d’humanité.

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Au-delà des apparences

Des gens comme il faut - Livre d'occasion de Florence ChataignierDes gens comme il faut, Florence Chataignier, éditions le Cherche midi, 20,90 euros

Fleur et Nine grandissent dans une famille bourgeoise d’apparence parfaite, messe tous les dimanches, apprentissage précoce des bonnes manières, vacances d’été sur la côte Basque chaque année avec la famille et les amis. Mais à la mort de son père, quand Fleur, quadragénaire, entreprend de trier les papiers familiaux dans sa cave, c’est une toute autre image qui se dessine…

A travers ces lettres et ces photos, Jean, son père, apparaît comme un personnage haut en couleurs mais pétri d’ambivalences, injuste envers ses filles (l’aînée, Nine, portée aux nues, la cadette, Fleur, dénigrée), belliqueux avec ses amis et épuisant pour sa femme. Le couple n’est pas heureux, leur histoire est “celle d’un tétraplégique qui demande à une aveugle de le ramener sur le rivage”. En se penchant sur son passé dans l’intimité suintante de la cave, Fleur révèle peu à peu les zones d’ombres de Jean et les ressorts biaisés de sa relation avec sa femme et ses filles.

“Des gens comme il faut” est un roman d’une grande délicatesse, décrivant une famille singulière, fondée sur un leurre, ce qui la rend touchante, et porté par le regard poétique et bienveillant de Florence Chataignier. Une belle découverte.

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La branche tordueLa branche tordue, Jeanine Cummins, éditions Philippe Rey, 24,50 euros

Majella vient de donner naissance à son premier enfant, la petite Emma. Ayant quitté le centre de New York pour le quartier de son enfance du Queens après avoir racheté la maison de ses parents, partis en Floride, elle a du mal à trouver ses repères dans cette vie de jeune maman. Epuisée et à fleur de peau, elle consulte une psychologue car elle croit entendre des crissements dans le grenier et doute de sa santé mentale.

C’est alors qu’elle y découvre le carnet d’une de ses ancêtres, Ginny Doyle, qui connut la grande famine en Irlande en 1848 et dut abandonner ses enfants pour travailler et subvenir à leurs besoins. Majella s’interroge sur son héritage familial : existe-t-il dans sa généalogie une “branche tordue” qui ferait des femmes de sa lignée de mauvaises mères?

Jeanine Cummins mêle deux histoires, celle, poignante, de Ginny Doyle qui se bat pour survivre et sauver ses enfants de la famine, et celle de Majella qui essaie de nouer le lien avec son enfant et trouver sa place de femme et de mère. Ainsi elle nous offre un récit à deux voix où surgissent d’étranges résonnances, à la fois fresque historique et roman d’une lignée de femmes qui explore le lien viscéral qui lie les mères à leurs enfants. Passionnant.

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L’heure des femmes, Adèle Bréau, Le Livre de Poche, 9,20 euros

A travers la figure de sa célèbre aïeule, Ménie Gregoire, celle qui donna la parole aux femmes dans son émission de radio sur RTL, l’autrice Adèle Bréau revisite les flamboyantes années de libération que furent les années 70.

Roman choral, le récit mêle les voix de plusieurs femmes, tout d’abord Ménie Grégoire qui entame, à 50 ans, sa carrière de “dame de coeur” qui saura écouter les femmes et tâcher de leur répondre, ensuite Mireille et Suzanne, des auditrices qui sont au coeur des dilemmes de l’époque, entre maternités à répétition et choix de l’avortement, puis Esther, documentariste en 2021, qui se lance dans l’aventure d’écrire un livre sur Ménie Grégoire.

Il est question ici de féminisme, de sororité, d’indépendance, mais aussi d’écoute et de prise en compte de la parole des femmes. L’incroyable succès de l’émission de Ménie la propulsera dans un véritable tourbillon, entre lettres d’encouragement et messages de haine, et fera peut-être vaciller l”équilibre de son quotidien.

Ce récit polyphonique et bien mené nous plonge dans l’effervescence d’une époque pas si lointaine, où les femmes n’avaient souvent pas voix au chapitre mais oeuvraient pour conquérir leurs droits.

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Un pays formidable, Shilpi Somaya Gowda, éditions Mercure de France, 23 euros

Juste après leur mariage en Inde, Ashok et Priya ont émigré aux Etats-Unis il y a vingt ans. Ils s’y sont construit une vie : suite à de brillantes études, Ashok a monté sa petite entreprise d’informatique dans laquelle Priya s’occupe de la comptabilité et ils ont eu trois enfants, Deepa, Maya et Ajay. Après des années dans le même quartier familial d’Irvine, ils viennent de s’installer dans un endroit plus huppé, sur les hauteurs de la ville, nommé Pacific Hills.

Ils pensent avoir trouvé leur place dans la société américaine jusqu’au jour où Ajay, leur fils de 12 ans, commet une imprudence aux abords de l’aéroport et se retrouve en garde à vue. La machine juridique et médiatique se met alors en marche, entraînant Priya et Ashok dans un engrenage implacable. Leurs origines se rappellent à eux et tout ce qu’ils pensaient avoir construit pèse peu dans la balance face à leur couleur de peau et leurs noms à consonnance étrangère; aux yeux de la justice et de la police, ils deviennent des suspects.

Prise dans la tourmente, la famille va devoir rassembler ses forces tandis que les vrais visages des uns et des autres se révèlent. Shilpi Somaya Gowda nous offre un roman subtil et intelligent qui traite de l’assimilation possible ou utopique des émigrés dans la population américaine, à travers des personnages d’une grande profondeur.

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Un souffle d’émotion

Plus grands que le monde, Meredith Hall, éditions Philippe Rey, 24 euros

Début des années 30. Tup est étudiant en ingénierie grâce à son père, exploitant d’une ferme laitière dans le Maine, qui tient à ce que son fils fasse des études. Lorsqu’il se marie avec Doris, en 1933, il a encore 2 ans d’études à faire, puis elle pourra commencer les siennes pour devenir enseignante. Mais la réalité vient contrecarrer leurs plans quand le père de Tup décède brutalement : celui-ci, faisant valoir son droit d’aînesse, va reprendre la ferme alors que ses deux frères se partagent l’argent qui reste.

Ainsi, ce printemps-là, Doris et Tup se retrouvent propriétaires d’une ferme laitière sans aucune main d’oeuvre, et un bébé à venir. La vie est difficile, mais Tup et Doris s’aiment et travaillent dur, appréciant une vie simple et proche de la nature auprès de leurs trois enfants, Sonny, Dodie et Beston. Jusqu’à ce qu’un drame obscurcisse leur ciel si limpide…

Dans ce roman choral, Meredit Hall donne la parole à Doris, Tup et Dodie qui expriment tour à tour leurs émotions quotidiennes. Face au deuil, chacun emprunte un chemin personnel, avec ses réactions viscérales, ses évitements et un fort sentiment de culpabilité qui menace les fondations familiales. “Plus grands que le monde” est un roman sensible et plein de grâce, dont les personnages nous émeuvent par leur humilité et leur long combat pour renaître. Bouleversant.

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Un roman addictif en format poche!

Les voleurs d’innocence, Sarai Walker, éditions Gallmeister, collection Totem, 11,90 euros

Sylvia Wren est une vieille dame, artiste peintre célèbre vivant au Nouveau-Mexique avec sa compagne, Lola, qui gère sa carrière. Mais pendant que celle-ci est en voyage, elle reçoit le courrier d’une journaliste qui souhaite l’interviewer et semble tout connaître de son passé, lorsqu’elle ne s’appelait pas encore Sylvia Wren mais Iris Chapel.

C’est alors qu’Iris prend la parole et nous raconte l’histoire des six soeurs Chapel qui, dans les années 50, habitent un manoir victorien du Connecticut, rebaptisé le “gâteau de mariage”. Leur mère, Belinda, leur a donné des prénoms de fleurs, Aster, Rosalind, Calla, Daphné, Iris et Hazel. Belinda est une mère singulière, une mère “hantée”, qui a des prémonitions, des visions, et qui la plupart du temps vit recluse dans sa chambre, alors que son mari absent s’occupe de son entreprise d’armes à feu. Quand Aster, la fille aînée, annonce qu’elle veut se marier, Belinda a un terrible pressentiment…

Comme dans un conte macabre, une malédiction pèse sur les jeunes filles qui, sitôt mariées, meurent mystérieusement. Comment échapper à cette destinée funeste? Voici un roman envoûtant qui nous plonge dans une ambiance gothique et éthérée, un roman féministe qui, l’air de rien, pose la question de l’épanouissement féminin dans le mariage, un livre fascinant qui nous jette un sort et qu’on ne peut plus lâcher. Addictif!

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Au nom du père, Ulf Kvensler, éditions de la Martinière, 22.50 euros

Isak est auxiliaire de vie et coule des jours paisibles avec sa compagne Madeleine au Smaland en Suède. A la suite de l’incendie dans lequel ont péri sa mère et sa petite soeur, lorsqu’il avait six ans, il n’a plus revu son père et a été élevé par ses grands-parents maternels. Ainsi, quand son père le recontacte et lui annonce qu’il est atteint d’un cancer et souhaite le revoir, Isak est assez mal disposé à son égard.

Il accepte finalement de le rejoindre sur l’île de Gotland avec Madeleine et fait la découverte de son univers d’artiste reconnu au train de vie fastueux. Mais ce séjour sur l’île prend bientôt une teinte malsaine lorsque la relation entre père et fils devient le théâtre d’une lutte pour le pouvoir où tous deux se mesurent d’homme à homme.

Ulf Kvensler, dont nous avions déjà aimé le premier polar, “Sarek”, nous plonge dans un roman noir puissant et envoûtant, une intrigue machiavélique servie par une écriture âpre qui nous entraîne aux confins du bien et du mal. Un coup de maître.

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L’amour par temps de crise, Daniela Krien, collection Points, 8,30 euros

Un roman inclassable qui évoque, à travers les portraits de cinq femmes de Leipzig, l’image de la femme d’aujourd’hui dans toutes ses contradictions. Il y a d’abord Paula, libraire mariée à un écologiste radical, puis Judith, médecin célibataire et intransigeante qui cherche l’amour, Brida, mère divorcée et écrivain talentueuse, Malika, musicienne délaissée par son grand amour, et enfin Jorinde, actrice et maman au bord de la crise de nerf.

Daniela Krien glisse subtilement d’une femme à l’autre et saisit les dilemmes intérieurs de chacune d’elles, leurs vérités essentielles, dans un récit étonnamment fluide. Mais c’est aussi de la place de la femme dans la société, dans le couple et la famille, dont il est question ici : liberté, indépendance, amour et maternité, elles veulent tout et bousculent les conventions. L’accomplissement de la femme est-il possible? Ont-elles trop d’exigences, à tous les niveaux?

Ce sont les questions très actuelles dont s’empare Daniela Krien à travers ce roman intelligent à l’écriture ciselée et aux multiples facettes qui nous éblouit. Une réussite.

 

La vie en fuite, John Boyne, Le livre de Poche, 9,40 euros

De nos jours, en 2022. Gretel Fernsby, veuve de plus de 90 ans, n’est pas ravie de voir emménager de nouveaux voisins dans sa résidence du centre de Londres. Alex est un célèbre réalisateur de films et sa femme, Madelyn, s’occupe de leur fils Henry, 9 ans. Tandis que Gretel se lie d’amitié avec la mère et surtout l’enfant, elle comprend vite que cette famille est dysfonctionnelle et qu’elle doit prendre ses distances, si elle veut préserver sa tranquillité et éviter que l’on se penche sur son propre passé.

En effet, Gretel cache de lourds secrets : d’origine allemande, elle a vécu en Pologne pendant la guerre avec ses parents et son frère, mais au moment de la débâcle, sa mère et elle ont dû fuir et se sont installées à Paris, laissant derrière elles des souvenirs traumatiques.

John Boyne entrelace deux époques avec aisance et nous enchante avec le personnage de Gretel, vieille dame indigne qui sait manier l’ironie et ne manque pas de cran. “La vie en fuite” nous livre une réflexion profonde sur le sentiment de culpabilité, qui ronge Gretel, la laissant pleine de regrets mais humaine malgré tout, et nous amène à nous interroger sur ce que nous aurions fait à sa place pendant cette période troublée. Ce n’est pas un énième livre sur la Shoah, mais bien un récit singulier qui éclaire les événements sous un autre angle. Un excellent roman, à lire absolument.

 

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L’amitié à l’épreuve du confinement

Très chers amis, Gary Shteyngart, éditions de l’Olivier, 24 euros

Mars 2020. Alors que le monde sombre dans l’épidémie de Covid, Sacha Senderovski, écrivain quinquagénaire d’origine russe et sa femme Macha, psychiatre, décident d’accueillir quelques amis dans leur maison sur la colline au bord de l’Hudson. Le groupe se compose de Karen, Vinod et Ed, amis de lycée de Senderovski, Dee, une de ses anciennes élèves, et l’Acteur, ainsi nommé pendant tout le livre, comédien célèbre qui doit jouer le scénario écrit par son hôte. Autour du cottage, plusieurs bungalows sont disposés en arc de cercle qui permettent de loger tout ce petit monde plus ou moins confortablement.

A l’intérieur de cette colonie improvisée, les sentiments vont s’exacerber, les egos s’enflammer, le passé ressurgir dans un bouillonnement d’émotions mêlées, et le confinement devient le théâtre d’un huis-clos décapant qui va révéler les personnages à eux-mêmes sous leurs aspects les moins avouables.

On se régale de cette tragi-comédie insolite rassemblant des personnages de tous origines à l’humanité désarmante. Gary Shteyngart nous livre une fable douce-amère sur l’amitié à l’épreuve du confinement, mais plus largement à l’épreuve du passage des années et des inégalités sociales, ainsi qu’une réflexion plus profonde sur les notions de réussite et d’échec qui pose au final cette question : Qu’est-ce qu’une vie réussie?

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