Vous ne connaissez rien de moi, Julie Héraclès, éditions J-C Lattès, 20,90 euros

Tout le monde connaît ce cliché de Robert Capa, devenu l’emblème de la libération par l’épuration : une jeune femme, le crâne rasé, le front marqué au fer rouge, le visage tourné vers son bébé, qui marche dans les rues de Chartres, entourée d’une foule hostile. Julie Héraclès, chartraine elle-même, s’est penchée sur l’histoire de la fameuse “tondue de Chartres” pour publier son premier roman. Elle y décrit la vie de Simone, jeune femme d’un milieu modeste mais brillante élève (elle aura le bac, ce qui est remarquable à l’époque) qui souhaite sortir de sa condition.

Douée en langue allemande, admiratrice du régime politique nazi et de son führer Hitler, elle se propose en tant qu’interprète dans une administration tenue par l’occupant, puis à la Feldkommandantur. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Otto Weiss, jeune lieutenant responsable de la propagande, qui en civil était bibliothécaire.

Un premier roman prometteur qui impose un ton, celui, gouailleur et effronté, de sa jeune héroïne qui n’a pas la langue dans sa poche. C’est un livre qui suscite la réflexion et donne un nouvel éclairage à cet épisode historique, évitant l’écueil du manichéisme et nous révélant une période trouble, toute en nuances de gris.

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Dans la tête du tueur

L’épaisseur d’un cheveu, Claire Berest, Albin Michel, 19,90 euros

Vive et Etienne, la quarantaine, forment un couple équilibré, elle un peu artiste, sensuelle, fantasque et lui plus sérieux, intellectuel, amateur de musique classique. Etienne est correcteur dans une maison d’édition, Vive est photographe et travaille dans une association artistique où elle organise les expositions et vernissages, épaississant ainsi son carnet d’adresses. C’est un couple en vue dans un certain microcosme culturel parisien.

Mais cette semaine-là, tout semble aller de travers pour Etienne : d’abord Vive annule le concert de Mahler auquel ils devaient se rendre le Mardi ; le lendemain, alors qu’elle doit l’accompagner à la soirée annuelle de sa maison d’édition, elle réclame d’aller boire un verre avant pour discuter, bref rien ne se passe comme prévu. Vive semble vouloir s’échapper et Etienne ne le supporte pas…

Si la quatrième de couverture ne fait pas mystère de l’issue fatale, Claire Berest réussit le tour de force de nous faire entrer dans l’esprit du tueur, là où le coupable se fait victime, et nous interroge sur la banalité du mal. Car l’enchainement des événements, de petites contrariétés en franches disputes, reflète le quotidien d’un couple ordinaire qui bascule dans le crime et la folie. C’est ce cheminement, à rebours du drame, que Claire Berest nous décrit dans ce roman qui suscite émotion et réflexion.

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La justice des hommes, Santiago H. Amigorena, éditions P.O.L, 21 euros

Alice et Aurélien se sont rencontrés jeunes et ont rapidement eu deux enfants, Elsa, 6 ans, et Loup, 3 ans. Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes mais lors d’une dispute, Aurélien va commettre l’irréparable. Dès lors, la communication se rompt entre les deux personnages, mais aussi au sein de la famille puisqu’Elsa, traumatisée, a cessé de parler.

Alice et Aurélien mettent leur destin entre les mains de la justice des hommes, mais celle-ci est implacable et ne s’embarrasse pas de nuances…

Santiago H. Amigorena décrit très justement une rupture, pas seulement amoureuse mais aussi familiale, qui emporte les individus telle une gigantesque vague et les laisse, chancelants et anéantis, sur le rivage. Une réflexion romanesque sur la rupture mais aussi la perte totale de repères et l’identité qui se dérobe suite à un choc traumatique. Un roman contemporain qui capte l’air du temps.

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Gros coup de coeur… enfin en format poche!

Apaiser nos tempêtes, Jean Hegland, éditions Libretto, 12,20 euros

Anna est étudiante en photographie à l’université de Washington, Cerise lycéenne d’un milieu modeste en Californie. Quand l’une et l’autre sont confrontées au choix de faire un enfant, elles prennent des directions diamétralement opposées. Quand on les retrouve quelques années plus tard, il s’avère que ce choix a été décisif, voire crucial, dans leurs trajectoires de vie.

Jean Hegland évoque d’une écriture toute en nuances les vicissitudes de leurs existences  et, de peines en espoirs, décrit en détail les sentiments mêlés de ses personnages. Du hasard de leur rencontre naitra une relation singulière, faite de confiance, d’amitié, de sororité. L’auteur nous donne à lire ici une réflexion autour de la maternité sous toutes ses formes (“une thématique aussi traditionnellement genrée”, note-t-elle dans sa préface), évoquant autant la naissance que la perte possible de l’enfant et les aléas de l’éducation.

Un roman ample et superbe qui célèbre la puissance des femmes.

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Prolongeons l’été en format poche

Free love, Tessa Hadley, éditions 10/18, 8,60 euros

Fin des années 60, en Angleterre. Phyllis et Roger sont mariés depuis une quinzaine d’années ; Roger est diplomate au Ministère des affaires étrangères tandis que Phyllis supervise l’éducation de leurs deux enfants, Hugh, 10 ans et Colette, 15 ans. Un soir, ils invitent à dîner un jeune homme, Nicky, fils d’une ancienne amie de Roger. La soirée tourne à la comédie de moeurs lorsque Phyllis se retrouve à embrasser le jeune homme. Commence alors une liaison qui ne dit pas son nom, et, au moment des fêtes de Noël, Phyllis plaque tout pour vivre son amour avec ce jeune étudiant sans le sou.

Elle rencontre toute sa bande d’amis, des artistes et des hippies qui changent sa vision du monde. Elle a conscience que sa relation avec Nicky est fragile, mais quand elle tombe enceinte, elle décide d’assumer et d’élever son enfant, seule s’il le faut.

C’est à l’éveil d’une femme que l’on assiste, à l’histoire de sa libération qui se fait doucement, pas à pas, dans une société encore corsetée et normative. Loin d’une banale liaison extra-conjugale au goût de vaudeville, Free Love évoque plutôt le cheminement intérieur d’un être humain qui se questionne et cherche son indépendance, à la manière des personnages d’Alison Lurie, au coeur des années 60.

Euphorie, Elin Cullhed, éditions 10/18, 8,90 euros

Avec ce livre, Elin Cullhed nous retrace la vie de la poétesse américaine Sylvia Plath, dans ce qui devait être sa dernière année de vie, au tout début des années 60. Après un séjour en hôpital psychiatrique dans sa jeunesse pour dépression, Sylvia a suivi des études à Smith College puis a obtenu une bourse pour étudier en Angleterre, où elle rencontre le poète Ted Hughes. Lorsque l’auteur commence son récit, en 1962, Sylvia, déjà mère de Frieda, 2 ans, et enceinte de son deuxième enfant, décide de s’installer dans la campagne anglaise avec son mari.

Le ciel s’assombrit pour Sylvia lorsqu’un couple d’amis, également poètes, leur rend visite dans le Devon et que Ted tombe sous le charme d’Assia Wevill, dont il fera rapidement sa maîtresse. Il part de plus en plus souvent à Londres pour son travail, délaissant femme et enfants.

Dans ses lettres à sa mère, Sylvia ne tarit pas déloges sur sa vie en campagne et paraît résolument optimiste, alors que dans les faits, elle passe de périodes d’euphorie à des moments d’abattement. Elin Cullhed s’empare de son sujet d’une manière presque viscérale et rentre dans la psyché de Sylvia Plath en s’appropriant son style littéraire, l’éblouissement de sa langue puissante et poétique. Elle nous restitue également ses sautes d’humeurs, ses fulgurances ainsi que ses moments de découragement, qui présagent de son funeste destin. Un roman ample et inspiré.

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Un long, si long après-midi - 1Un long, si long après-midi, Inga Vesper, éditions Points, 8,90 euros

Dans la société corsetée des années 50, Joyce est une femme au foyer au quotidien monotone qui, faute d’amies sincères, entame une relation privilégiée avec sa femme de ménage, jeune fille noire prénommée Ruby. Celle-ci rêve d’un autre destin et travaille dans le quartier huppé de Sunnylakes, à Santa Monica, afin de suivre des études supérieures et devenir enseignante.

Mais un après-midi, Ruby trouve la maison vide et les enfants laissés à eux-mêmes. La cuisine est maculée de sang et Joyce s’est volatilisée… L’inspecteur Mickaël Blanke est chargé de l’affaire et commence une enquête de voisinage, en ne négligeant aucune piste : Joyce est-elle partie de son plein gré? A-t-elle subi un avortement qui aurait mal tourné dans la cuisine? Ruby est le premier témoin sur les lieux du crime et devient, de ce fait, une suspecte possible.

Tour à tour, Ruby, Joyce et Mick racontent leur histoire dans un roman choral au suspense constant. Un livre féministe et engagé sur la condition des femmes et des afro-américains à la fin des années 50.

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Tout ce que dit Manon est vrai

Tout ce que dit Manon est vrai, Manon Fargetton, éditions Pocket, 9,50 euros

Manon Fargetton, auteur de livres jeunesse à succès, nous raconte ici un pan jusque là ignoré de son histoire. La jeune Manon, 16 ans, rêve d’être dessinatrice de B.D ; elle est talentueuse et lors d’un salon, Gérald, éditeur de 40 ans son aîné, la repère. Il propose de la publier, elle accepte. Commence alors une relation sentimentale qui a la saveur de l’interdit ; il est marié, qu’importe! sa femme aussi aime Manon et accepte sa présence dans leur couple. La mère de Manon, inquiète, tente de s’interposer entre la jeune fille et son mentor, ce qui déclenche une bataille rangée.

Manon Fargetton a choisi pour ce texte de faire parler tous les protagonistes sous un “je” pluriel, ce qui peut être déroutant : ses parents, ses frères, ses amis racontent à tour de rôle son histoire, dans un kaléidoscope aux multiples facettes. Elle nous offre un roman captivant sur l’adolescence et l’emprise, dont on ne sort pas indemne.

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Prends ma main, Perkins-Valdez Dolen, éditions du Seuil, 22,90 euros

1973. Civil, jeune infirmière afro-américaine, travaille au planning familial de Montgomery, en Alabama. Fidèle à des idéaux de justice sociale, elle essaye d’aider les jeunes filles des familles qui lui sont confiées. Ainsi elle se prend d’affection pour Erica et India, 13 et 11 ans, orphelines de mère qui vivent dans des conditions précaires. Elle doit fournir une contraception à ces deux jeunes soeurs, dont une n’est même pas réglée, et commence à douter du bien-fondé de sa mission.

Memphis, 2016. Civil, la soixantaine, devenue médecin, vit aujourd’hui avec Anne, sa fille adoptive de 20 ans. Elle sent qu’il est temps pour elle de raconter à sa fille l’histoire d’Erica et India, qu’elle n’a jamais oubliée et qui a déterminé certains de ses choix de vie. Toujours tourmentée par un sentiment de culpabilité, Civil va entreprendre un voyage à Montgomery et essayer de retrouver la paix avec les personnages de son passé.

Inspiré de faits réels, ce roman nous plonge dans l’Amérique conservatrice des années 60-70 et dénonce des pratiques médicales d’un autre âge. Civil, un peu naïve mais très déterminée, se lance dans un combat juridique acharné qui la rend très touchante. Un roman passionnant.

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La petite-fille, Bernard Schlink, Gallimard, 23 euros

Un soir, Kaspar rentre de sa librairie berlinoise et trouve son appartement en grand désordre, sacs de courses à terre, verre renversé, vase en miettes ; il est habitué à ce genre de spectacle car sa femme, Birgit, boit parfois plus que de raison et laisse le foyer partir à la dérive. Mais ce soir-là, il ne la trouve pas, ni dans la chambre, ni dans la petite pièce où elle aimait écrire, et finit par la trouver inanimée dans leur profonde baignoire Art nouveau.

Démuni après ce décès brutal, Kaspar découvre différents textes dans les papiers de sa femme et apprend qu’elle a eu un enfant et l’a abandonné en RDA, avant de s’enfuir à l’Ouest avec lui au début de leur idylle. Dès lors, il n’a de cesse de retrouver la fille de Birgit, comme elle aurait souhaité le faire elle-même.  A la suite d’une petite enquête, il rencontre enfin Svenja, dont la vie est radicalement différente de la sienne : mariée à un militant néo-nazi, elle a eu une fille prénommée Sigrun, élevée dans la doctrine “Volkisch”.

Kaspar va alors essayer de nouer un lien avec Sigrun, qu’il considère comme sa petite-fille par alliance, l’invitant chez lui pour de courts séjours où il lui fait découvrir la musique, la littérature et la personnalité de sa grand-mère. Mais peut-il vraiment ouvrir l’esprit de Sigrun et l’éloigner des idées bien arrêtées de ses parents?

Bernard Schlink évoque très justement le couple et la part d’ombre qui subsiste en chacun de nous. Son roman, tout en nuances et subtilité, interroge les liens d’attachement, familiaux ou choisis, ainsi que la question de la transmission.

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Connemara, Nicolas Mathieu, éditions Babel, 9,90 euros

 

Hélène, son mari Philippe et leurs deux enfants viennent de s’installer en province suite au burn-out professionnel de cette dernière. Ils s’établissent à Nancy, à proximité des parents d’Hélène, laquelle retrouve rapidement du travail grâce aux relations de son mari, dans une boîte de conseil et d’audit. Mais malgré ce succès apparent, la quadragénaire traine un peu de vague à l’âme et peine à se remettre en selle.

Christophe, quant à lui, vit dans le même village depuis son adolescence. A l’époque, c’était un talentueux joueur de Hockey qui rencontrait un franc succès avec les filles. Aujourd’hui, séparé de sa compagne, il vit avec son père et son fils et vend de la nourriture pour chien. Il a gardé ses potes de lycée et songe à se remettre au Hockey. Quand ils se rencontrent à nouveau, d’autres perspectives se dessinent …

“Connemara”, c’est un récit empreint d’une nostalgie légère, ce sont les fins de soirées arrosées au son de Michel Sardou. Nicolas Mathieu nous livre une critique acerbe du monde de l’entreprise avec son jargon et ses open spaces et nous offre une fresque sociale qui capte admirablement l’air du temps.

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